La mort atroce d’Eugène BERTRAND, combattant F.T.P.F.

Militant communiste à Marseille, il est arrêté en 1939 et interné au fort Saint Nicolas. Relâché, il vient vivre à partir de juin 1940 à ENTRAIGUES (Vaucluse) chez son oncle alors maire de la commune.

En septembre 1942, il échappe de justesse à une nouvelle arrestation. Il se réfugie à Bollène et rentre alors dans une complète illégalité. Il est d’abord hébergé chez Mme Alida DUGAS à La Croisière, puis par la famille VINCENT à LAPALUD.

A ce moment-là, l’action de la Résistance s’est considérablement développée. Les premiers groupes F.T.P.F. se constituent et multiplient les actions de sabotage. Il se retrouve avec Henri SABATIER dans le groupe F.T.P.F. de La Croisière jusqu’au mois de mai 1943. Le groupe étant repéré par la Gestapo, il est obligé de quitter Bollène. Vers octobre 1943, il est désigné avec son cousin MAX BERTRAND (qui après la Libération deviendra maire d’ENTRAIGUES) pour la direction régionale Drôme –Ardèche des F.T.P.F.. Il est commissaire régional eux effectifs.

La lutte armée s’amplifie de plus en plus : coups de mains dans les mairies, sabotages des voies ferrées, de pylônes électriques.
En février 1944, il participe à l’attaque d’un train allemand au défilé de DONZERE. Pertes importante pour l’ennemi.

En mars 1944, toujours avec son cousin, ils sont nommés à la direction régionale Gard-Lozère.

Le 3 juillet 1944 à 19h, la Gestapo et la milice viennent les arrêter au restaurant de la place FLORIAN (devenue Place de la Libération à ALES). Max réussit une évasion spectaculaire, mais hélas ! Eugène ne peut le suivre. Il est emprisonné au siège de la Gestapo d’ALES où il subit tous les supplices que nombre de résistants ont connus. Il ne parle pas.

On a retrouvé son corps devenu méconnaissable dans le puits de mine de CELAS, près d’ALES.

L’arrestation d’Eugène BERTRAND

Témoignage de son cousin Max BERTRAND ex commandant LAMOTTE (F.T.P.F.)

« Le 3 juillet 1944, j’étais avec Eugène, dans la salle du bar, Place FLORIAN à ALES, en train de souper. Trois civils entrèrent et demandèrent les papiers des clients du café. Pendant ce temps la milice cernait l’immeuble. Avec Eugène, nous avions d’excellents faux papiers. Nous passâmes à travers, mais peu de temps après, ayant contrôlé la salle du fond, ils revinrent en emmenant RAMIER, le recruteur régional et deux autres camarades. Nous les vîmes passer devant nous, conduits, revolver au poing par les trois civils. Nous étions impuissants, la rage au ventre. Le bar était redevenu libre. Je dis à Eugène : « Filons vite ! Allons parer à tout ce qui peut arriver ! » Il ne voulut pas, car dit-il « j’ai des papiers importants que je ne peux laisser ici ».

Hélas, quelques minutes plus tard, la Gestapo revint en force. Deux hommes seulement entrèrent et vinrent vers nous. L’un d’eux s’adressa aux clients en tenant des propos orduriers sur la Résistance, nous présentant comme des bandits qui allaient expier leurs crimes. Pendant ce temps-là, je pensais à la triste renommée de l’Hôtel du Luxembourg d’ALES siège des S.S. et de la Gestapo.

Le discoureur me dit soudain :
« Allez ! Crie Vive Pétain ! ». A la troisième injonction et après avoir reçu une énorme gifle, j’obtempérais. Comme il se tournait vers Eugène et lui demandait la même chose, j’avais choisi ma solution. Je criai en provençal : « Zéno ! Ei lou moument ! a nen ié* ! »

Nous étions debout, près du comptoir, à deux mètres de l’entrée du bar. Je balançai un coup de pied dans le ventre de notre tourmenteur suivi d’un coup de tête qui l’envoya sur son collègue, les déséquilibrant tous les deux. Je m’élançai vers la sortie. Deux ou trois miliciens se trouvaient là. Je leur envoyai une bicyclette stationnée sur le trottoir et partis dans l’avenue en courant en zig-zag. Les balles sifflaient à mes oreilles. Heureusement je ne fus pas touché. Eugène ne put me suivre et il fut arrêté. »

Le nom d’Eugène BERTRAND est maintenant inscrit sur la stèle érigée à la gare de Bollène, à la mémoire du groupe F.T.P.F. de La Croisière, aux Côtés de ses camarades de combat Henri SABATIER, Louis DUGAS et Léon DUGAS.

* « Eugène ! C’est le moment ! Allons-y »

Né à Entraigues, ses parents, François Bertrand et Jeanne Ogias, étaient commerçants à Marseille, la famille était de gauche, radicale.
Célibataire, militant communiste depuis 1934 à Marseille et ancien gérant de la Maison du Peuple, 181 rue Endoume, il fut arrêté et interné au fort Saint-Nicolas, en 1939, après la dissolution du Parti communiste. Il fut jugé en mars 1940 par le tribunal militaire de la XVe région pour activité communiste, mais, selon lui, pour des faits antérieurs à la dissolution. Il bénéficia probablement d’un non lieu. Mobilisé en 1939, il fut rendu à la vie civile en juillet 1940. Il partit de Marseille en septembre 1940 pour s’installer à Entraigues où son oncle, Laurent Bertrand, radical-socialiste et ami d’Édouard Daladier, était maire.
À partir de 1942, Eugène Bertrand et son cousin Max, sous couvert de la profession de commerçants en gros de fruits et légumes, participèrent à la reconstitution du parti communiste clandestin et au recrutement. Eugène Bertrand fut inquiété en mai 1942 car la lettre qu’il avait adressée au communiste Tamaillon fut interceptée par la direction de la Centre de Nîmes où celui-ci était incarcéré. Il prédisait que son camarade serait libéré avant Noël, la Maréchal perdant « chaque jour » de son prestige. Il se défendit en affirmant ne plus militer depuis la dissolution du PC, mais il admit avoir pris les tracts que Tamaillon lui portait avant d’être arrêté en mai 1941 et avoir une fois accepté de donner de l’argent pour la famille d’un communiste interné. Il aurait aussi admis avoir des relations avec Julien Marcellin, ancien secrétaire de la cellule de Monteux (Vaucluse), ancien candidat aux élections cantonales à Carpentras (Vaucluse). Il affirma avoir écrit la lettre interceptée à la demande de l’épouse de son camarade qui souhaitait avoir quelques informations sur les événements extérieurs. Désormais menacé, Eugène se réfugia à Bollène, tout en restant en contact avec Max. Connu par ses camarades comme Marcel de Marseille, il s’engagea, parmi les premiers, dans les Francs-tireurs et partisans français (FTPF). Il participa à des actions de sabotage et d’organisation de groupes de combats. Une fois dans la clandestinité totale, il prit le pseudonyme d’« Auguste ».

En octobre 1943, Eugène fut désigné par la direction régionale Drôme - Ardèche comme, commissaire régional aux effectifs et Max commissaire technique, le commissaire militaire était Marius Bonnet dit « Marcel ».
En mars 1944, Eugène et Max sont nommés aux mêmes fonctions à la direction Gard - Lozère. À partir d’avril, Max contribua à donner une structure militaire régulière aux maquis FTPF.

Le 3 juillet 1944, il fut arrêté par un homme de la 8e compagnie Brandebourg et par un milicien au restaurant de la place Florian à Alès, avec Barthélemy Ramier et Max. Max Bertrand parvint à s’échapper. Eugène, emprisonné et torturé à l’hôtel du Luxembourg où sévissait le groupe de la 8e compagnie Brandebourg, couramment désignés comme Waffen SS et connu comme "bande à Harry", fut fusillé le 11 juillet. Le site MemorialGenweb indique qu’il serait mort le 3 juillet, des suites des tortures qu’il subit. Dans les deux cas, son corps fut jeté dans le puits de Célas, son identification n’a pas été possible.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts d’Entraigues-sur-la-Sorgue, sur celui de Bollène, sur la stèle commémorative de Bollène érigée en hommage au groupe FTPF de Bollène La Croisière, sur le monument mémorial du puits de Célas à Servas. À Entraigues-sur-la Sorgue et à Marseille, dans le quartier Saint-Julien, une rue porte le nom d’Eugène Bertrand.

Commandant FFI à titre posthume, Eugène Bertrand dut décoré de la Croix de guerre avec étoile de vermeil, de la Croix de guerre avec étoile d’argent avec citation et attribution en date du 30 août 1947.

Voir Servas, Puits de Célas (9, 10, 27 juin 1944 ; 11, 12 juillet 1944)